mercredi 23 octobre 2013

Théâtre - Critique : Amalia, respire profondément




Amalia, respire profondément



Au théâtre des déchargeurs se tient en ce moment et jusqu’à fin novembre, un conte d'hiver haut en couleurs, retraçant l'histoire compliquée et trop souvent méconnue de la Roumanie.
Amalia respire profondément, monologue d’une heure et demi, est une invitation au souvenir, à l'anecdotique à tout ce qui tient du fragile écart entre histoire, la petite personnelle, et la grande, l'Histoire, H majuscule découpant cruellement parfois un peuple, un pays.
Amalia (interprétée par Codrina Priscoaia), le personnage que nous suivons de ses 6 à ses 70 ans dans 5 étapes constitutives de sa vie, porte sur le monde qui l'entoure, à savoir la dictature communiste de Ceaucescu, un regard qui se veut naïf et qui dénonce avec un certain humour cependant, l'horreur d'un pays en crise. On la juge peut être simple ou déraisonnable (notamment en vouant un véritable amour à son cochon domestique), mais qui peut garder raison dans un monde devenu fou ? Et peut être est-ce encore le plus fou qui voit le plus juste. Ou encore cette folie n'est elle qu'un masque pour se protéger de la souffrance, de la mort qui frappe partout, du froid et de la faim ? Moyen ou masque, les sentiments et les mots d’Amalia, eux, sont bien réels. Et ils nous touchent.

La mise en scène minimaliste de Bobi Pricop, joue essentiellement sur une lumière qui tangue et déforme le corps de la comédienne devenant informe, immatérielle, faisant penser aux ombres chinoises qu'on s'amuse à créer dans l'enfance, jeu de création, de re-création. L’aspect créatif de réinvention de forme a une place particulièrement importante dans cette pièce où la question du rêve flotte tel le voile blanc dans l'arrière scène.
Le texte travaille aussi sur la même interrogation que Calderon dans « La vie est un songe », c'est à dire la question de la fragile nuance entre vie et réalité, et l'impression que la vie passe comme un rêve d'où parfois l'on se réveille esseulé, rassuré. Or, dans le cas présent, on est davantage face à un cauchemar, celui d’un peuple laissé aux griffes d’un monstre duquel on s’arrache difficilement.
Apprendre à respirer, à s’élever sera la clef de la survie d’Amalia, le message qu’elle nous transmet peut être, et son souffle passe dans la salle glaçant mais vivant, preuve indéniable que la vie continue.

On pourrait parler de la musique singulièrement importante, qui ne tranche pas, elle aussi laissant le choix au spectateur de penser librement, du rire jaune qui parfois nous anime au détour d’un « pic » lançé par Amalia. On pourrait parler de l’étrange sentiment de culpabilité déplacée qui nous envahit en sortant de la salle, le sentiment d’avoir ignoré tellement de choses si longtemps, et d’être encore loin de les connaître pleinement… Mais la pièce parle mieux que nous et la meilleure chose à dire est de vous inviter plutôt deux fois qu’une à courir au théâtre des déchargeurs et à vous laisser à votre tour habiter par la sombre voix d’Amalia !




Emma Menetrey
L3 Lettres & Arts

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