samedi 16 novembre 2013

Conférence - Interview : Véronique Widock (metteur en scène du "Soldat Ventre Creux")



Conférence, Véronique Widock.


Véronique Widock est un metteur en scène qui récemment a monté Le Soldat Ventre Creux au théâtre de la Tempête. Formée au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, elle joue sous la direction de Jean-Pierre Miquel, Jean-Pierre Sarrazac, Anita Picchiarini, et avec Daniel Mesguich les rôles de Juliette dans Roméo et Juliette au Théâtre de l’Athénée et de la Marquise Cibbo dans Lorenzaccio au TGP.

Elle fonde la compagnie "Les Héliades" et crée sa première mise en scène au TGP Les Rescapés de Stig Dagerman.

En 1992, elle fonde "Le Hublot", chantier de construction théâtrale, dans une ancienne usine de métallurgie à Colombes.

(Source : www.la-tempete.fr)


Pourquoi avoir choisi le Soldat ventre creux ?
Véronique Widock : "Je voulais plutôt monter Funérailles d'hiver. L'histoire de l'identité et de la mort, m'intéressent vraiment, quel est le rapport avec les morts ? Mais très compliqué à monter, beaucoup de monde. Coup de cœur pour le Soldat ventre creux. C'est la structure qui m'a vraiment intéressé. Coté métaphysique de la chose. Il y a un coté Beckett, qui m'a beaucoup touché. Il y a de la liberté dans la pièce sans compter la tentative de paix, malgré le fait qu'on à l'impression de crier dans le désert mais il est important de dire ce genre de chose. Nous on est très loin de la guerre. Levin a osé prendre position, dans sa vie durant il a pris les positions qui n'étaient pas attendues.

Pourquoi les personnages dansent-ils ?
V. W : "Les inspirations de mise en scène sont multiples. Les choses surgissent, elles deviennent évidentes. Le gros et le maigre en Israël c'est le palestinien et l'israélien. C'est aussi Laurel et Hardi. On va essayer de faire tous ces moments de respiration. Utiliser ces moments. Comment amener la dimension de guerre éternelle entre les deux personnages. Rien est permis, mais je voulais rendre visible le coté de la guerre éternelle. Je voulais montrer que le texte était une métaphore. Mon amour du corps des acteurs.

Quelle signification que les acteurs restent toujours sur scène ?
V. W : Question scénographique qui dirige tout l'acte de mise en scène. Surtout pas une maison, car illusion. On va jouer avec le moins d'éléments possibles. Je voulais mettre les acteurs en scène durant toute l'histoire. Plus que des acteurs au sein de l'histoire, pour qu'ils prennent en charge cette histoire. Le fait qu'ils soient là tout le temps, les fait entrer dans une solidarité. Tous les personnages veillent sur l'histoire. On va plus loin dans l'abstraction, ils induisent le mouvement. Je remarque que ça se fait beaucoup. Il y a tellement de choses à raconter, je trouve ça beau la notion du temps dans cette pièce. Il est presque infini.

A propos du duo maigre-gros, comment avez-vous W sur les insultes par exemple ?
V. W : Dans cette pièce il y a un plaisir de Levin, plaisir du pur-moment. L'acteur est là. Ce n'est pas courant dans l'écriture contemporaine. Tout est très écrit. L'impression d'improvisation est fausse. On n'aimait pas trop Ventre creux, on préférait ventre vide, c'est plus Beckettien (rire). La traductrice elle-même n'est pas satisfaite de ces noms, mais ce sont les seuls qui en français dont parvenir que l'on veut entendre. Mais on s'en fiche finalement, c'est Sosie qui importe et non le nom, ou l'identité du personnage. Pour moi ce soldat c'est le soldat que l'on a tous en commun et celui que nous sommes tous potentiellement. C'est là-dessus, sur les filiations avec les Sosie d'origine que l'on a travaillé, Amphiprion bien sûr.
Le grand-père mort pour moi c'était une figure de la spiritualité, ironique évidemment. On peut penser que SVAT c'est battu pour une propre illusion. C'est l'histoire de la promesse, l'homme est capable de la promesse, d'être l'unique, l'élu, reconnu, aimé. C'est ça qui le fait souffrir. D'avoir fait danser le grand père c'est une manière de signifier l'aspect ironique, incroyablement léger. Cette scène est d'une grande cruauté. Après la mort, on va bien, on a tout oublié.

 Comment les acteurs ont vécu ce travail ? (Alternance rire-émotion)
V. W : Avoir rendu Axelle (La Femme) muette a été très difficile. C'est un travail d'imaginaire, d'être extrêmement ancré. Quand on est acteur la question que l'on se pose c'es de savoir comment je vais rentrer dans son un autre corps. Je voulais faire rendre compte de cet état de guerre. Toute la densité qu'il y a derrière était le plus dur à représenter. Ca a été un travail terrible, mais on a réussi à rendre drôle une pièce qui à un fond horrible. Ce qui a été formidable c'est les situations, surtout pour ventre à terre, qui rentre sur scène et qui est déjà en train de mourir.

Levin propose de montrer une scène de viol, comment avez-vous collectivement travaillé dessus.
V. W : Bizarrement, ça a été très simple de représenter cette scène. Les scènes sont tout de même très violentes. Le but est tout de même de faire réagir le public. La didascalie est très claire, je l'ai donc suivie à la lettre. Hop et on passe à la suite. Je ne veux pas chercher à choquer. Il faut que ce soit sans affect, c'est un fait. Le viol est banalisé. Je ne pensais pas que ça aurait une telle influence sur le spectateur. Je viens de me rendre compte en parlant que c'est en traitant de la manière la plus simple que ça outrerait le plus. Il y a des pièces de Levin à mettre en scène qui sont terribles, je sais que lui montait avec beaucoup de distances. Je pense que ça fait cet effet là parce que c'était tout à fait inattendu. On n'est pas préparé à cette scène, on passe après au pet et au téton.

Par rapport au pet et au téton, vous avez décidé d'en faire en monologue devant tout les spectateurs. Pour soulager le spectateur après le viol ?
V. W : Bien sûr, c'est quand même incroyable de voir cette scène juste après la scène terrible du viol. Tout d'un coup le personnage nous parle à nous, il a une forme d'humanité malgré ce qu'il vient de faire. Les acteurs voulaient le faire sous forme de cabaret, mais je voulais rapprocher du spectateur. Car même après l'acte le plus affreux, on peut encore être humain. Levin est très loin d'être blanc et noir. C'est une pièce et une personne très humaniste. Le soldat ventre plein, il ne faut pas le détester. On est tous concernés par cette éventualité.

Concernant l'enfant, que pouvez-vous nous dire sur sa présence voire son omniprésence ?
V. W : Je pense qu'on a toujours une part d'enfant en soi. On oublie plus ou moins l'impression de la petite enfance. Qu'es-ce qu'il fera l'enfant après avoir vécu tout ça ? Ses seules références, ce sont les adultes. C'est très touchant mais juste. On lui demande rarement finalement sa réelle vision des choses.

Par rapport à la représentation de la guerre (pièce Levin datant de 1999), vous vous êtes posé la question à l'expérience de la guerre finalement ancienne car nous sommes maintenant dans le phantasme des guerres propres et post-humaines (nanotechnologies, drones etc.) ?
V. W : Levin était à quelques mois de mourir quand il écrit la pièce, j'ai l'impression qu'il voulait revenir à cette proximité des hommes au sein de la guerre. Cette proximité n'est existante que dans les guerres anciennes. De ce que je sais il a toujours traité les conflits du point de vue de l'humain le plus simple. Il n'a jamais amené les superpuissances sur le plateau à part Dieu (Rires). Il veut faire de la question de la guerre une chose universelle. Voilà pourquoi j'ai choisi des costumes guerriers non identifiables (pas de costume de guerre israélien ou palestinien). 


Charles Rozanski
L2 Lettres Modernes 

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