jeudi 13 février 2014

Cinéma - Critique : Portrait par la négation, "Inside Llewyn Davis" des frères Coen.



Novembre
Le retour du froid et de l’impénétrable ciel gris que rien ne bouscule jamais, comme une masse, entité insondable où ne se détache jamais un brin de lumière.

On attendait le retour des frères Coen depuis longtemps avec une impatience toute particulière.

Llewyn Davis nous ressemble comme un faux frère, mélancolique, transpirant l’écran d’une couleur terne. Il rassemble toutes les caractéristiques des « héros » Coenniens ; un musicien raté, un mauvais amant, un ami infidèle, et qui porte en lui une blessure béante, un deuil. Une incompréhension. Pourquoi Mike s’est tué ? Pourquoi tout va de travers ?
Nous suivons ce personnage dans les méandres d’un temps indéfini, sans début, ni fin, effet cyclique unit par une certaine morosité ambiante et par la musique folk des années 70.

Llewyn Davis, davantage personne que personnage, danse toujours sur le mauvais pied, a tel point que nous pouvons nous demander si ses échecs ne sont pas la preuve ou les symptômes d’un profond mal être. Il a arrêté depuis longtemps de s’aimer ou d’aimer les autres et met tout en œuvre pour accentuer la dangereuse pente sur laquelle il glisse. A l’image de ce chat roux, unique compagnon de voyage doux et coloré qu’il abandonne.
Llewyn Davis se déteste profondément.

Il nous embarque, bon gré mal gré, dans un voyage au but trouble sur les longues routes d’une Amérique qui a perdu tout espoir.
Les personnages qu’il rencontre, côtoie, frôle sont les fragments restants d’histoires inconnues, notes abandonnées sur une partition.
Ce film porte cependant moins l’humour noir attendu de la part des Frères Coen, on rit peu, comme si chaque mouvement effectué pouvait blesser ce héros déjà mis à mal.

Alors pourquoi cette sensation presque agréable, ce pincement au fond du ventre en sortant du film ? Pourquoi sourire doucement et se sentir étrangement bien ?

Peut être car nous sortons moins seuls qu’en rentrant dans le cinéma, et que Llewyn Davis est parfaitement humain, et que malgré ses échecs volontaires ou non, il intègre ce qu’il nous manquait depuis un certain temps. Inside Llewyn Davis permet de regarder notre quotidien d’une manière davantage poétique, de sentir travailler la mélancolie, la rendre créatrice d’image et de fantasmes. Sublimer, d’une certaine façon un jour trop terne, trop gris en puisant justement dans le gris notre force de continuer. Comme se perdre au milieu d’un Rothko dans le but de renouer avec certaines forces vitales indestructibles, plonger au plus profond d’une couleur sans fond. Nous cherchons alors la force nécessaire, comme lui, de continuer.
La forme cyclique du film donne aussi un élément de réponse. Si tout s’exprime de manière cyclique, nous pouvons alors garder en tête qu’un passé plus lumineux a été et sera.
Nous pouvons toujours aussi prendre la prochaine sortie d’autoroute, aller à la rencontre de cet enfant inconnu, ou alors continuer tout droit, fermer les yeux.

Llewyn Davis n’est pas un personnage tragique, il fait des choix et prend des décisions, même si dans l’ensemble ce libre arbitre lui dessert. Pourtant c’est empreint d’une grande liberté que nous sortons de la salle, et le raccord entre le réel et le fictif s’effectue par ce ciel gris, brume.

Toile presque vierge si ce n’est ces quelques tâches, marques indélébiles du passé qui constituent notre individualité propre. 


Emma Menetrey
L3 Lettres et Arts

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