Novembre
Le
retour du froid et de l’impénétrable ciel gris que rien ne
bouscule jamais, comme une masse, entité insondable où ne se
détache jamais un brin de lumière.
On
attendait le retour des frères Coen depuis longtemps avec une
impatience toute particulière.
Llewyn
Davis nous ressemble comme un faux
frère, mélancolique, transpirant l’écran d’une couleur terne.
Il rassemble toutes les caractéristiques des « héros »
Coenniens ; un musicien raté, un mauvais amant, un ami
infidèle, et qui porte en lui une blessure béante, un deuil. Une
incompréhension. Pourquoi Mike s’est tué ? Pourquoi tout va
de travers ?
Nous
suivons ce personnage dans les méandres d’un temps indéfini, sans
début, ni fin, effet cyclique unit par une certaine morosité
ambiante et par la musique folk des années 70.
Llewyn
Davis, davantage personne que
personnage, danse toujours sur le mauvais pied, a tel point que nous
pouvons nous demander si ses échecs ne sont pas la preuve ou les
symptômes d’un profond mal être. Il a arrêté depuis longtemps
de s’aimer ou d’aimer les autres et met tout en œuvre pour
accentuer la dangereuse pente sur laquelle il glisse. A l’image de
ce chat roux, unique compagnon de voyage doux et coloré qu’il
abandonne.
Llewyn
Davis se déteste profondément.
Il
nous embarque, bon gré mal gré, dans un voyage au but trouble sur
les longues routes d’une Amérique qui a perdu tout espoir.
Les
personnages qu’il rencontre, côtoie, frôle sont les fragments
restants d’histoires inconnues, notes abandonnées sur une
partition.
Ce
film porte cependant moins l’humour noir attendu de la part des
Frères Coen, on rit peu, comme si chaque mouvement effectué
pouvait blesser ce héros déjà mis à mal.
Alors
pourquoi cette sensation presque agréable, ce pincement au fond du
ventre en sortant du film ? Pourquoi sourire doucement et se
sentir étrangement bien ?
Peut
être car nous sortons moins seuls qu’en rentrant dans le cinéma,
et que Llewyn Davis est parfaitement humain, et que malgré ses
échecs volontaires ou non, il intègre ce qu’il nous manquait
depuis un certain temps. Inside Llewyn
Davis permet de regarder notre
quotidien d’une manière davantage poétique, de sentir travailler
la mélancolie, la rendre créatrice d’image et de fantasmes.
Sublimer, d’une certaine façon un jour trop terne, trop gris en
puisant justement dans le gris notre force de continuer. Comme se
perdre au milieu d’un Rothko dans le but de renouer avec certaines
forces vitales indestructibles, plonger au plus profond d’une
couleur sans fond. Nous cherchons alors la force nécessaire, comme
lui, de continuer.
La
forme cyclique du film donne aussi un élément de réponse. Si tout
s’exprime de manière cyclique, nous pouvons alors garder en tête
qu’un passé plus lumineux a été et sera.
Nous
pouvons toujours aussi prendre la prochaine sortie d’autoroute,
aller à la rencontre de cet enfant inconnu, ou alors continuer tout
droit, fermer les yeux.
Llewyn
Davis n’est pas un personnage tragique, il fait des choix et prend
des décisions, même si dans l’ensemble ce libre arbitre lui
dessert. Pourtant c’est empreint d’une grande liberté que nous
sortons de la salle, et le raccord entre le réel et le fictif
s’effectue par ce ciel gris, brume.
Toile
presque vierge si ce n’est ces quelques tâches, marques
indélébiles du passé qui constituent notre individualité propre.
Emma Menetrey
L3 Lettres et Arts
L3 Lettres et Arts
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