jeudi 13 février 2014

Théâtre : Jouer le je.


Laisser le nous et le on de côté, à la trappe. Se découvrir, être à découvert et pour une fois prendre le je. C’est pour m’ouvrir comme se sont ouverts à moi, et à d’autres, deux metteurs en scènes ; Pippo Delbono, et Dave Saint Pierre.

J’ai décidé de traiter ces deux spectacles comme d’un seul (ce qui pourra m’être reproché). Pourquoi ?
Pour l’énergie et la liberté qu’ils dégagent. La capacité qu’ils ont de dire « on va faire quelque chose de différent ».

Pippo Delbono est un metteur en scène, et comédien italien. Son dernier spectacle Orchidées est un rêve qui mène le spectateur dans un univers personnel, dans sa tête, comme s’il projetait sur scène des images qui l’habitent, qui le composent et le constituent en tant qu’être. Pippo prend le je, il joue le jeu de se donner, il aspire à un nouveau théâtre. Il n’a peur de rien, il essaye et tâtonne.

Je sors libre et je me dis que c’est pour ça que j’existe. J’existe pour voir.

« ET VOIR C’EST SE PERDRE » ; Mais se perdre c’est créer.

Dave saint pierre vient du Québec. Il pousse la vie sur scène de toutes les façons possibles. La vie qui bat, celle qu’on danse, l’envie de crier, le besoin ardent et ce besoin qui habite chaque personne de dire «  Je suis ! ». Il mêle danse et théâtre, les arts de la vie, la vie elle-même peut être ? Sarah Kane dit : « J’ai choisi le théâtre car c’est un art vivant et que moi je suis née morte ». On renoue avec des forces intérieures, on relance des pulsions. Voilà ce qui se passe dans les spectacles de Dave Saint Pierre.

Je sors, ou plutôt je re-née. J’ai compris que je ne devais pas toujours tout comprendre. Dans ma tête, c’est la tempête. Il y a des couleurs, des mots, des sons, des mouvements qui s’impriment. Il faut conserver ce tourbillon.

« Le bonheur c’est pas assez bien pour moi. Je demande l’euphorie. »

Ces deux spectacles constituent une réponse à une certaine mélancolie collective. Aux discours inlassablement courant du « c’était mieux avant… vous n’arriverez à rien », il faut réapprendre à être courageux, ne plus enterrer ses sensations éthérées. Sentir la vie battre dans ses tempes. Et après ?

Pulsions ; c’est un mot qui revient ; Pippo Delbono parle d’une tension qui vient du ventre qu'il faut libérer. La libérer c’est donner place à la pulsion.

Reprendre le je, c’est s’afficher sans se porter en triomphe. C’est s’affirmer surtout. Dire « Moi, je » ne nie pas un collectif ; au contraire. Exister en groupe, c’est avant tout exister dans soi. Je voulais dire cela. Je voulais remercier ces artistes qui me donnent le courage de mes mots, qui transpirent la vie.

«  On devient artiste pour se créer un monde dans lequel il nous est possible de vivre » ; ce n’est pas égocentrique de porter son monde et son « je » , au contraire sinon une généreuse tentative de s’affirmer en tant qu’être et d’arriver à accepter une certaine légèreté pour la rendre supportable.

Et puis c’est la première fois que chaque comédien sur scène récupère son nom. Dave Saint Pierre tient à présenter chaque personne de sa troupe, il leur rend ainsi leur « je ».

Pippo Delbono laisse la parole à ces comédiens ; ils racontent leurs histoires. Se racontent à eux même. Se raconter une histoire passée, c’est apprendre à devenir.

C’est la première fois que je vois tellement d’humains au théâtre. J’attends certains reproches, que cet article n’est pas vraiment une critique, que ce n’est pas la première fois que cela se passe.
Peut être. Mais pour moi c’est une première.

Il y a d’autres points de croisements entre ces deux metteurs en scènes. Mais cela ne m’intéresse pas ici, pas maintenant.

Dave Saint pierre dit qu’il travaille l’instant, qu'il essaye surtout de « rester intègre face à moi, mes désirs, mes valeurs et mes contradictions. » Et ça marche.

Depuis longtemps la question de pourquoi faire du théâtre me hantait. A quoi ça sert le théâtre ? Pourquoi en avoir tellement besoin, pourquoi et comment nait et meurt cet amour et cette haine qui m’envahissent dès que je sors d’une représentation. Je n’avais plus de réponse.

Je ne crois pas savoir davantage à quoi sert le théâtre aujourd’hui. Je ne me connais pas mieux que la semaine dernière. Ce serait mentir que de vous dire cela. Mais je crois, et c’est sûrement naïf de ma part, à ce que disait Pippo Delbono le dimanche 9 février ; « l’indécision c’est la vie, et c’est bon d’être perdu ».



Emma Menetrey
L3 Lettres et Arts 

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